dimanche 26 octobre 2008

1979

Mille neuf cent soixante dix-neuf est une date qui marque le début de quelque chose ; au fait, étant l’année où Paule et moi somme venus habiter en Haïti, mille neuf cent soixante dix-neuf représente le début d’une nouvelle vie. Ayant vécu en Haïti pour plus de vingt huit ans, je ne peux m’empêcher de considérer ce pays comme “mon chez moi”. Tout m’est devenu tellement familier, les amis, la langue, les habitudes, la nourriture,le paysage, enfin tout, qu’il m’est difficile aujourd’hui de différencier entre ce que je connaissais et ce que j’ai appris.Ma femme et moi sommes arrivés en Haïti le 19 mars 1979. Nous avions répondu à l’appel lancé par l’Assemblée Spirituelle Nationale des bahá’ís des États Unis disant que la communauté bahá’íe haïtienne avait besoin d’aide.Après reflection, répondre à un appel pour servir la Foi dans un pays francophone semblait à cette époque “ la chose à faire”.Bien que je sois naturalisé américain, j’ai eu une éducation française en Egypte. Paule, elle, est française “Pieds Noirs” d’Algérie.Qu’est ce que nous étions jeunes ! Nous n’avions pas d’enfants, nous allions encore à l’université et nous n’avions pas de métier. Cependant, nous aimons tellement la Foi bahá’íe, que lorsque l’appel au service a été lancé, nous n’avons pratiquement pas hésité. Et nous voilà embarqués vers l’aventure.Où était Haïti ? À quoi ressemble la vie là-bas ? Il paraît qu’on y parle un patois dérivé du français ; sera-t-il facile à apprendre ? Quel travail trouvera-t-on ? Où, comment, qui . . . Voici les questions qu’on se posait avant de venir, des questions qui n’avaient vraiment pas besoin de réponses, puisque le Bon Dieu nous a donné la main tout le long du chemin.On nous avait dit donc que la langue officielle d’Haïti était le français, et pourtant, lorsque nous sommes arrivés, nous avons vite compris que ce patois dont on nous avait parlé, le créole, était vraiment la langue la plus parlée.À l’aéroport, nous attendaient la famille Coblentz et un jeune bahá’í iranien, Farhad Khozouee. Farhad est toujours en Haïti, où il a fondé une merveilleuse famille.Le chemin vers l’hôtel m’a beaucoup marqué. Tout d’abord, leur petite Honda Civic ne pouvait pas nous contenir tous avec nos valises ; alors Paule est allée en voiture pendant que Farhad et moi sommes partis en taptap avec une grosse valise. La taptap n’est rien d’autre qu’une camionnette convertie en roulotte taxi, par contre elle est complètement décorée de peintures, soit louant le ciel, soit louant la rapidité du chauffeur, soit encore faisant honneur à l’amour de son cœur.Donc, comme je disais, ce parcours entre l’aéroport et l’hôtel ne m’a pas laissé indifférent. Nous avons traversé une zone très peuplée où la pauvreté était aussi visible que le manque d’hygiène.Quelques jours plus tard, nous avons été bienvenus par l’Assemblée Spirituelle Nationale des bahá’ís d’Haïti et peu à peu, nous avons rencontré d’autres pionniers, des gens comme nous, qui ont abandonné leur pays pour aider comme nous, la communauté bahá’íe haïtienne. Il y avait des américains, des canadiens, un iranien et un antillais. Nous avons pris un peu plus de temps pour forger une amitié avec les croyants haïtiens, et cela était dû à la difficulté de communication, mais nous avons appris le créole tout doucement, et les amitiés se sont formées.Pétion Ville a été notre « chez nous » pour près d’un an. Après avoir changé d’hôtel, ensuite quelques maisons privées, notre premier ‘foyer’ a été à la rue Villate, dans un des appartements de Mme Simone Saati.La joie d’être venu en Haïti, le plaisir de savoir que nous contribuions à l’avancement de la cause bahá’íe dans ce pays, se sont vite transformés en frustration ; d’abord de ne pas pouvoir communiquer confortablement, ensuite de ne pas savoir encore comment nous allions gagner notre vie, vu que nos économie diminuaient de jour en jour. Donc, l’inévitable est arrivé : Un jour, je n’avais plus envie de me lever du lit. J’étais d’humour massacrante et je n’étais même plus gentil. J’étais déprimé. On me disait que j’avais le ‘choc culturel’. Choc culturel ? C’est quoi ça ?Je sortais rarement de la maison ; j’avais des écarts d’humeur et pour dire vrai, je n’étais pas le compagnon idéal.Quand je médite sur cette époque, je ne peux que m’émerveiller de la patience de Paule et de tous les amis bahá’ís qui m’ont accepté comme j’étais et qui faisaient beaucoup d’effort pour me remonter le moral.À la fin, c’était Simone Saati qui est arrivée avec la solution pour me sortir de cette condition d’apitoiement de moi-même. Elle m’a encouragé à faire une exposition de peintures à l’Institut Français d’Haïti. Simone est devenue une bonne amie. Elle habitait la grande maison a côté de tous les autres appartements. Elle nous faisait des petits plats arabes absolument délicieux. Grâce à elle, nous avons découvert toute une variété de fruits exotiques que nous avalions avec un délice indescriptible. Il y avait des sapotilles, des calbassites, des mangues évidement, des grenadias, des pommes lianes, des abricots mamey, des grenadines, des knépes, des cashiman pomme cannelle, oh, ce que j’ai adoré les cashiman. Nous nous asseyons au bord de la piscine et nous consommions à tous les trois, facilement quatre douzaines de ces fruits merveilleux. Nous avons aussi découvert la papaye et le corossol qui sont délicieux en jus. Je me suis laissé aller un peu loin de mon histoire, là.Revenons donc à cette misérable dépression. Réalisant que le joli petit appartement d’une chambre au bord de la piscine était trop petit pour travailler, Simone Saati nous a loué un autre plus grand sur la rue Grégoire, en haut du restaurant Au P’tit Louvre.Dans ce grand appartement, très bien aéré, j’ai produit beaucoup de tableaux. À l’époque je travaillais la gouache, l’encre de chine, le pastel et l’aquarelle, et la plupart du temps je mélangeais les médias. Ce travail me donnait des ailes et je suis très vite sorti de mon état d’âme. J’étais souvent très content.Le salon de l’appartement était grand et nous avons commencé à avoir des réunions bahá’íes le dimanche matin. Nous avons rencontré des gens bien sympathiques.Durant cette période, nous avions une bonne qui s’appelait Murlande.Quelle vedette ! Elle était une fille pas comme les autres, elle était très sympathique mais un peu trop mythomane. Elle nous racontait des choses assez bizarres, mais les racontaient d’une manière très captivante, et c’est grâce à tous ses récits que nous avons finalement pu apprendre le créole.Parmi les histoires de Murlande, la plus intéressante est celle-ci ;Elle nous avait raconté un jour que sa maman venait de mourir et c’est pour ça qu’elle était en retard d’une heure au travail. De quoi était morte sa mère ? D’un accident d’auto. Nous avons fait de notre mieux ce jour la de la consoler. Nous lui avons dit de rentrer chez elle et de s’occuper de sa mère, mais non, elle est restée au travail en disant qu’il y avait assez de monde à la maison pour faire le nécessaire. Bon. Une autre fois, elle nous raconte que sa maman était tombée dans une latrine et que ça l’avait tué sur le coup. Quoi ? Mais, la maman n’était-elle pas morte d’un accident de voiture il y a quelques semaines ? Oui, justement, quand sa mère était aux toilettes, une voiture a perdu les freins et était entrée dans les latrines. Wow ! Quelle histoire !Une troisième fois, sa maman est morte, elle était tombée du balcon de sa maison. Attend ! Tombée du balcon ? Mais . . . comment ? Et oui ! Elle était au balcon, lorsque le plancher a cédé, elle est tombée dans les latrines pendant que la voiture avait perdu les freins . . . ça suffit ! C’est trop, cette fille se plaisait à raconter des histoires. Elle était sympathique mais, Oh lala ! Quelle menteuse !Nous vivions heureux à Pétion Ville. Nous sortions le soir avec les amis bahá’ís, nous allions tantôt au cinéma Concorde, et des fois nous allions chez Amistoso prendre une crème glacée au corossol. Je peignais presque chaque jour, et à cette époque nous avions aussi commencé une petite affaire de robes peintes à la main, la communauté bahá’íe commençait à s’épanouir, nous avions beaucoup d’amis. Durant cette période où nous devions nous établir légalement en Haïti et obtenir un permis de Séjour, nous avons dû aller deux fois à Puerto Rico, le territoire américain le plus proche pour préparer des papier et les faire signer par les autorités concernées.Durant le deuxième voyage, nous avons eu le plaisir infini de rencontrer la main de la Cause de Dieu, Dr. Muhajír. Il était de passage et avait donné une conférence à Mayaguez. Quand il a su que nous habitions Haïti et que nous étions francophones, il nous a supplié d’aller pour lui en République Dominicaine et enseigner la Foi dans les bateys où beaucoup d’haïtiens habitaient et coupaient la canne à sucre.Malheureusement nos finances ne nous permettaient pas de faire ce voyage, et à regret, nous avons refusé. Je me souviendrais toujours son regard déçu. Hélas ! Nous ne pouvions vraiment pas y aller.Durant notre résidence à Pétion Ville, nous avons aussi visité certains coins d’Haïti. Nous avons participé à une campagne d’enseignement de la foi pour une durée d’une semaine au nord, avec le conseiller Hedi Ahmadiyyih. Cet homme nous a appris comment présenter la foi d’une manière convaincante. Il était très approfondi dans les Écrits Saints et c’était un plaisir d’être en sa compagnie. Nous avons visité la côte des Arcadins, St.Marc et Gonaïves.Un jour, Paule m’a dit qu’elle ne sentait pas qu’elle était particulièrement utile à la communauté bahá’íe. Il y avait déjà d’autres pionniers autour de la capitale, les activités de la foi marcheraient même sans nous. Elle voulait aller habiter en province, où il n’y avait personne pour cultiver la communauté. Ha ! Moi qui commençais à m’y faire. Cette dépression venait juste de partir et je n’avais pas envie qu’elle revienne. J’ai refusé d’abord, puis voyant Paule si déçue, à voir même triste.Elle m’a ensuite proposé un compromis. Elle me laissait le choix de la ville de province en me disant que nous irons où moi je voudrais. Ouf ! C’était facile. Je n’aimais nulle part d’autre que Pétion Ville. C’est tout.Mais la Providence avait d’autres plans, à croire que cette providence donne la préférence aux femmes.Un jour, notre ami Arnold Perrault, un pionnier canadien, a voulu aller à Jacmel dans sa nouvelle voiture. Nous sommes allés avec lui. Jacmel ! Après avoir tournoyé cette route de la montagne en quittant Léoganne, nous nous sommes trouvé à un tournant qui dominait la baie.C’était le coup du cœur. Jacmel m’a attiré. On aurait dit un diadème de diamants sur la mer des Caraïbes. Jacmel n’était pas comme les autres villes de province ; elle était plus mignonne, si on peut utiliser ce terme. Quand Jacmel vous regarde, elle vous séduit.Lorsque nous habitions à Pétion Ville, nous avions fait une demande au Centre Mondial de la foi d’aller en pèlerinage en Terre Sainte. La liste d’attente était assez longue et nous avions même pensé qu’ils nous ont oublié. Vers la fin de l’été, en 1980, l’autorisation est arrivée.Je me souviens bien de ce jour. Sans aucune raison, nous avions voulu acheter des fleurs et dîner d’un repas spécial ce soir là. Le bouquet de glaïeul était sur la table et Paule terminait de préparer le repas, lorsqu’on a frappé à la porte. On venait de nous livrer un télégramme provenant du Centre Mondial. Le cœur battant de joie et d’anticipation, nous avons lu que nous pouvions aller en pèlerinage en décembre.Nous n’avions pas encore tout l’argent nécessaire pour le voyage. Mais Dieu a décidé que nous irions et nous avons vendu des tableaux et des robes peintes a la main, et nous avons pu faire le voyage.Nous allions finalement aller poser notre front sur le Seuil Sacré du Mausolée de Bahá’u’lláh. Nous étions ravis. C’est alors que Paule est venue me dire qu’elle n’avait pas le courage d’aller jusqu’en Terre Sainte, d’atteindre à la présence de son Seigneur les mains vides. Je ne comprends pas, qu’est-ce que ça veut dire les mains vides ? Tu veux Lui apporter un cadeau ? Oui, elle me répondit. Elle disait qu’elle n’avait pas suffisamment sacrifié pour mériter Sa compassion.J’étais ahuri. Tu as quitté ton pays, ta famille, ton école et ton confort pour aller servir Sa Foi, et ce n’est pas assez ? Quel sacrifice faisons-nous ici à Pétion Ville ? La majorité de nos amis sont des blancs. Je veux faire plus. Je veux aller servir où on aurait plus besoin de nous. Je veux aller vivre en province. Ha ! Je n’étais pas prêt moi. Alors elle m’a donné le choix en me disant qu’elle n’était attachée à aucune ville de province. Nous irions où moi, je déciderais. Mais il fallait que je choisisse.Nous avions visité le nord et je n’étais pas très attiré ; alors nous avons décidé de visiter Jacmel.Un jour, lorsque nous habitions à Petion-ville nous sommes montés à Kenscoff avec Mirlande,. Arrivés à Douret elle a trouvé un vieux monsieur et elle m’a dit qu’il voulait savoir ce qu’était la Foi bahá’íe. Alors à l’aide d’un livret illustré j’ai commencé à lui expliquer. Le monsieur semblait très absorbé par mes paroles et par les illustrations qu’il regardait. Un moment donné, je ne me souviens plus très bien ce que je disais, mais la réaction que je devais provoquer devait être négative; par contre, très paisiblement et en souriant il disait : “oui, oui Blanc”. Ça n’allait pas bien. J’ai répété ma question et sa réponse restait la même. Je me suis alors tourné vers Mirlande en lui disant que je croyais que ce brave monsieur comprenait mal ce que j’avais dit. Calmement Mirlande se tourne vers lui et lui dit en créole ce que je lui disais. C’était incroyable de voir la transformation sur le visage de ce pauvre monsieur. Il venait juste de se rendre compte et avec beaucoup de joie que je venais de lui parler de la parole de Dieu. Moi dans mon choc j’ai décidé que ça suffisait comme ça. Je me suis finalement décidé d’apprendre le créole.Heureusement car c’est une langue si belle, si colorée, si vivante . . . si vivante qu’il y a chaque jour des nouveaux mots qui y émigrent.

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